Le phénomène ICO 

31 août

Le phénomène ICO 

par Jacky Ouziel, Conseil Expert Financier, Vice-Président de France BlockTech

 

Qu’est-ce que l’ICO ?

Une ICO (Initial Coin Offering) est une méthode de levée de fonds, fonctionnant via l’émission d’actifs numériques échangeables contre des cryptomonnaies durant la phase de démarrage d’un projet (définition de ICO Mentor).

Ces actifs numériques sont appelés tokens (jetons, en français). C’est pourquoi les ICO sont également appelées « token sales » 

Un token est un actif numérique pouvant être transféré (et non copié) entre deux parties sur Internet, sans nécessité l’accord d’un tiers.

Les tokens sont au coeur du mécanisme des ICO. 

Dans une premier temps, les tokens sont émis par l’organisation à l’origine de l’ICO, et peuvent être acquis par quiconque lors de l’ICO en échange de cryptomonnaie (le plus souvent, de l’ether ou du bitcoin).

Dans un second temps, ces tokens :

  • sont vendables et achetables sur des plateformes d’échange, à un taux dépendant de l’offre et de la demande. Ils sont donc très liquides.
  • ont vocation à être utilisables dans le projet financé par l’ICO en question. Leur valeur est donc censée dépendre du service fourni in fine par l’entreprise à l’origine de l’ICO.

Notons bien que les tokens ne représentent pas des quote-parts de l’entreprise, à la différence des actions. Acheter des tokens lors d’une ICO revient en fait à pré-payer le produit ou le service appelé à être développé. Pour prendre un exemple fictif, le cas d’Air France : une IPO consisterait à acheter des actions d’Air France, une ICO serait de pré-acheter les Miles.

Les porteurs d’un projet d’ICO garantissent que ces tokens seront rares. Le terme Initial est donc clef : il s’agit d’acheter ces tokens au tout début du processus, lorsque leur valeur est encore relativement faible.

Cette méthode incite fortement les participants de l’ICO à être investis dans le projet : ceux-ci ont en effet intérêt à ce que celui-ci devienne par la suite un succès, afin de pouvoir à terme utiliser les tokens acquis ou bien espérer en tirer une valeur financière supérieure à leur valeur d’achat. Ces early-adopters sont clefs pour la réussite espérée du projet.

Pour qui ?

  • Côté initiateurs des ICO : pour des créateurs d’applications blockchain ou de blockchains elles-mêmes

Le plus souvent, les ICO servent à financer le lancement d’applications décentralisées qui fonctionnent sur un protocole blockchain spécifique, en particulier via Ethereum ou Bitcoin.

Parfois cependant, les ICO visent à financer directement des protocoles blockchain : ce fut par exemple le cas du protocole Tezos début juillet 2017, qui a levé l’équivalent de plus de 200 millions de dollars.

  • Côté investisseurs dans les ICO : pour quiconque (disposant de cryptomonnaie)

C’est pour cette raison que les ICO sont souvent appelées crowdsales : dans une logique similaire à celle du crowdfunding, n’importe quel internaute peut investir dans un projet initiant une ICO, à condition de posséder des cryptomonnaies. Pour investir, l’internaute échange le montant de cryptomonnaie qu’il souhaite contre des tokens, émis par le projet réalisant son ICO.

Pourquoi ?

  • Côté initiateurs des ICO : pour s’affranchir des contraintes des levées de fonds traditionnelles

Les ICO permettent aux lanceurs de projets de contourner le système classique de venture capital (capital-risque) qui n’aurait souvent pas permis de financer (autant) leur projet à un stade aussi précoce de développement. Les ICO, qui se concentrent sur les phases de démarrage des projets (d’où le terme Initial), sont en effet lancées lorsque le produit n’en est encore qu’à ses toutes premières étapes de développement (voire de prototypage). De nombreux projets ont ainsi pu lever des sommes considérables – plusieurs dizaines de millions de dollars, parfois même des centaines de millions – qu’ils n’auraient jamais pu lever avec des fonds de capital-risque traditionnels. Pour ce faire, il faut bien évidemment rédiger un white paper (Plan d’affaires bien étayé).

  • Côté investisseurs : pour être les premiers à miser sur des projets très prometteurs

Deux principaux objectifs expliquent les mises des internautes-investisseurs dans les ICO : un objectif spéculatif (en faisant l’hypothèse que le token prendra de la valeur), et un objectif utilitaire (volonté d’utiliser à terme le token dans le cadre du projet financé). Les deux objectifs se rejoignent plus ou moins, puisque l’idée reste fondamentalement la même : miser sur un fort développement à venir du projet, qui permettra d’accroître mécaniquement la valeur du token acheté au départ (en raison de l’offre et de la demande). Dès lors, les possesseurs des tokens pourront soit les revendre à un taux bien plus avantageux que ceux de départ, soit utiliser ces tokens dont la valeur aura grimpée. Il faut lire attentivement le Business Plan pour le jauger sous tous les angles avant d’investir.

Les ICO : un changement de paradigme

Ce mécanisme bouscule les règles traditionnelles de l’économie numérique, en premier lieu l’effet de réseau, qui est au fondement du succès des plateformes comme Facebook, AirBnb, BlaBlaCar, etc. En renversant cet effet de réseau, il permettra à des services numériques d’émerger bien plus facilement.

Les ICO permettront également à des protocoles (comme le sont TCP/IP et Http pour Internet et le web) de se développer plus rapidement, et d’opérer un rééquilibrage radical en termes de captation de valeur. La valeur créée par les chercheurs à l’origine d’Internet et du web a été récupérée par les Google, Facebook, etc. : cette logique, ici, s’inverse.

Les ICO font également tomber la barrière entre investisseurs professionnels (business angels ou VCs) et investisseurs particuliers. Tout un chacun peut miser sur des services jugés prometteurs. 

En réalité, l’ICO se situe à mi-chemin entre les IPO (Initial Public Offering, introduction en bourse) et le crowdfunding, les ICO représentent un moyen de décentraliser et désintermédier le capital-risque, de créer de nouvelles sources de financement pour les entrepreneurs, et d’offrir de nouvelles opportunités d’investissement pour les particuliers « investisseurs amateurs ». 

Avec ce système, l’accès au capital se fait de façon plus égalitaire. Un projet démarré en Afrique est sur un pied d’égalité avec un projet démarré dans la Silicon Valley. Du reste, puisque le processus de financement est décentralisé, faire financer son projet par des investisseurs américains n’oblige plus les porteurs de projets à se rendre physiquement aux USA. Inversement, l’investissement est lui aussi plus égalitaire, puisque chacun a accès au même ensemble d’investissements.

Les ICO : la première ‘killer app’ de la blockchain ?

Le mécanisme des ICO, ou token sales, est parfois considéré comme étant la première killer app de la blockchain : la première application qui verrait enfin les promesses de la blockchain se réaliser concrètement, pour le plus grand nombre. Néanmoins les ICO doivent plutôt être vus comme l’outil permettant d’accélérer considérablement le développement de killer app, ou plutôt « killer dApps » (une dApp étant une application décentralisée, dans le vocabulaire blockchain), sans avoir à passer par les étapes traditionnelles de levées de fonds.

Exemples d’ICO emblématiques

-Le projet Tezos (nouvelle blockchain qui pourrait concurrencer la blockchain Ethereum) est à ce jour l’ICO ayant levé le plus d’argent : l’équivalent de 232 millions de dollars. Il devance le protocole Bancor : 153 millions en seulement 3 heures.

-En avril, Cosmos (réseau visant l’interopérabilité entre les blockchains) a levé l’équivalent de 16 millions de dollars en moins de 30 minutes, et Gnosis (plateforme décentralisée de marché prédictif) 12 millions en 12 minutes.

-Citons également le projet Brave, créé par le fondateur de Mozilla, de Firefox et du langage Javascript, qui a levé en juin 2017 l’équivalent de 34 millions en moins de 30 secondes.

Voici le top 10 des plus grandes levées de fond en ICO (dernière mise à jour : 31 août 2017) :

1.     Tezos : 232 millions de dollars (2017)

2.     Bancor : 153 millions de dollars (2017)

3.     TheDAO : 152 millions de dollars (2016)

4.     Status : 95 millions de dollars (2017)

5.     TenX : 84 millions de dollars (2017)

6.     PressOne : 82 millions de dollars (2017)

7.     MobileGo : 53 millions de dollars (2017)

8.     SONM : 42 millions de dollars (2017)

9.     Basic Attention Token : 35 millions de dollars (2017)

10. Polybius : 31 millions de dollars (2017)

Deux précisions doivent être apportées à ces chiffres :

  • les projets ne lèvent jamais directement des montants en dollars ou des euros, mais bien des montants en cryptomonnaies. La juste formulation pour une levée en ICO exprimée en monnaies traditionnelles est donc ‘la startup a levé l’équivalent de x dollars ou euros’.
  • ces chiffres, bien que très impressionnants, ne doivent pas masquer les polémiques qui entourent certaines de ces ICO, critiquées pour être ‘cupides’. Les records de levées ne doivent pas être considérés comme des critères de réussite en tant que tels : certaines ICO plus discrètes médiatiquement sont plus saines (leur modèle est plus viable). 

Problématiques des ICO

Malgré leurs atouts considérables, les ICO présentent des risques aussi bien pour les investisseurs que pour les porteurs de projets. L’incertitude réglementaire est notamment au coeur des problématiques actuelles puisqu’il existe une sorte de vide juridique entourant les ICO, même si la Securities and Exchange Commission (SEC) aux USA a commencé à se pencher sur la question en affirmant que les tokens du projet TheDAO de 2016 auraient dû être considérés comme des securities.

Avec le boom des ICO se développent également les arnaques. Il est relativement aisé de créer un site vitrine, de rédiger un white paper pour la forme, et d’annoncer le lancement de son ICO. 

Au-delà des arnaques, certains projets sont portés de bonne foi par des entrepreneurs qui n’ont toutefois pas les compétences nécessaires pour réaliser les ambitions qu’ils affichent. Pour l’investisseur, il s’agit donc de savoir bien évaluer la solidité des projets (ce qui n’est pas à la portée de chacun : le métier d’investisseur professionnel n’existe pas pour rien !), car sans étude sérieuse du background de leurs membres clefs et du white paper, il est facile de se laisser convaincre par l’un des multiples projets annonçant la création d’une nouvelle application révolutionnaire, qui ne sont parfois solides que sur le plan…marketing ! N’oublions pas, du reste, qu’investir dans une ICO revient le plus souvent à investir dans l’idée d’un projet avec des monnaies de surcroît volatiles… et des frais de minage significatifs.